Ninja Gaiden: Ragebound

Après une attente de onze longues années, la célèbre franchise de Koei Tecmo, Ninja Gaiden, émerge des limbes pour offrir aux joueurs un épisode entièrement inédit. Intitulé Ninja Gaiden: Ragebound, ce nouveau chapitre marque un retour aux sources audacieux, délaissant la perspective en trois dimensions des opus récents pour revenir à une action en défilement horizontal 2D, rappelant les débuts de la série sur la Nintendo Entertainment System. Dans cet opus, les ninjas s’aventurent dans un futur apocalyptique où les forces démoniaques règnent en maîtres sur le monde. La prémisse narrative repose sur une alliance inattendue et précaire : le clan de Ryu Hayabusa, ou du moins son héritage, doit s’associer à son ennemi juré pour espérer repousser les ténèbres.
Le développement de ce projet a été confié à The Game Kitchen, un studio espagnol qui a déjà fait ses preuves avec la série des Blasphemous, acclamée par la critique. Pour The Game Kitchen, Ragebound représente une transition, mettant de côté la structure Metroidvania de leur licence phare au profit d’une expérience de jeu de plates-formes et d’action pure. Pour la franchise Ninja Gaiden, le changement est tout aussi radical. Les joueurs n’incarneront pas le légendaire Ryu Hayabusa, mais un nouveau protagoniste nommé Kenji Mozu, confronté à une menace infernale qui s’abat sur son village.
Une Narration de Survie et d’Alliance Contre-Nature
Le scénario de Ninja Gaiden: Ragebound plonge le joueur dans une situation désespérée. Le jeune ninja Kenji Mozu voit son foyer anéanti par une invasion de démons venus des Enfers. Face à cette menace écrasante, il est contraint de former une alliance improbable avec Kumori, une assassine appartenant au clan rival de l’Araignée Noire. Cette collaboration est née de la nécessité, car seule l’union de leurs forces peut offrir une lueur d’espoir à l’humanité.
Contrairement à d’autres titres de la franchise où le contrôle pouvait alterner entre différents personnages au gré des chapitres, Ragebound propose une mécanique narrative et de gameplay unifiée. À la suite d’un rituel mystique, Kumori ne combat pas aux côtés de Kenji, mais vient posséder son corps. Cette fusion symbiotique est au cœur de l’expérience. Le joueur contrôle principalement Kenji, mais bénéficie en permanence de l’accès aux compétences et pouvoirs de Kumori, leurs pensées et leurs destins sont désormais inextricablement liés.
Système de Combat : Précision, Dualité et Hyper Charge
Conformément à l’héritage des trois premiers épisodes canoniques, Ninja Gaiden: Ragebound est un jeu d’action 2D exigeant, qui met l’accent sur la plate-forme et la précision des mouvements. Le personnage dispose d’une large palette d’actions : saltos avant et arrière, esquives rapides au sol, accroupissement, escalade des murs, et le fameux saut retourné en prenant appui sur une paroi. Le jeu récompense la maîtrise de ces mouvements et la fluidité des enchaînements, tout en punissant sévèrement les actions imprudentes. Les hitbox, bien que généreuses pour le joueur, ne pardonnent pas une esquive mal synchronisée ou un saut hasardeux, chaque erreur se soldant par une perte de points de vie.
De manière notable, et à contre-courant des standards du genre en 2025, le jeu ne propose ni dash aérien ni double-saut traditionnel. À la place, Ragebound encourage une forme d’agilité plus contextuelle. Il est possible d’effectuer un second bond dans les airs, mais uniquement en exécutant un bon-guillotine, c’est-à-dire en rebondissant sur la tête d’un adversaire. Cette mécanique, qui rappellera des souvenirs aux amateurs de titres comme Cuphead transforme les ennemis en plates-formes mouvantes et devient indispensable pour traverser certains passages et optimiser son positionnement en combat.
La dualité Kenji/Kumori est la pierre angulaire du système de combat. En tuant des adversaires, le joueur accumule des points de Ki. Cette ressource peut ensuite être dépensée pour utiliser les pouvoirs de Kumori. Il est ainsi possible de lancer des kunais à distance pour atteindre des cibles éloignées ou d’activer une des armes arachnéennes. Lorsque la jauge de pouvoir est pleine, le joueur peut déclencher un Jutsu, une magie dévastatrice pouvant prendre une forme offensive ou défensive pour régénérer sa santé par exemple.
Là où Ragebound innove le plus, c’est avec sa mécanique d’hyper charge. Ce système réinvente l’Attaque Ultime des épisodes 3D. Certains ennemis sont entourés d’une aura de couleur : bleue pour Kenji, rouge pour Kumori. Si le joueur élimine l’ennemi en utilisant l’attaque correspondante (l’épée de Kenji pour le bleu, une compétence de Kumori pour le rouge), il entre dans un état d’hyper-charge. Pendant quelques secondes, sa prochaine attaque devient fatale pour n’importe quel ennemi standard, ignorant boucliers et armures. Contre les boss, cette attaque inflige des dégâts considérablement accrus. Pour les joueurs audacieux, il est possible de déclencher manuellement cet état en sacrifiant une partie de sa barre de vie, un pari risqué dans un jeu où chaque point de santé compte.
Esthétique Rétro
Visuellement, Ninja Gaiden: Ragebound adopte une esthétique pixel art qui rend hommage aux épisodes sortis sur consoles 8 et 16 bits entre 1988 et 1992. Le jeu arbore de gros pixels colorés, des sprites détaillés et des animations fluides qui confèrent à l’action une grande lisibilité. Cette direction artistique est soutenue par des musiques dynamiques et entraînantes, Composées par Keiji Yamagishi et Ryuichi Niita, renforçant le sentiment d’évoluer dans un pur jeu d’arcade.
Bien que le cœur du jeu soit résolument old-school, avec des niveaux linéaires et une emphase sur l’action pure, The Game Kitchen a intégré des éléments de modernisation hérités des épisodes 3D développés par la Team Ninja. On retrouve ainsi les statues de dragon qui servent de points de sauvegarde et restaurent la santé, ainsi que la boutique de Muramasa où le joueur peut dépenser ses ressources. Cependant, le gameplay se distingue par des choix forts : il n’y a pas de bouton de garde, mais les projectiles ennemis peuvent être détruits par les attaques du joueur. De plus, la plupart des ennemis ne sont pas des sacs à PV; un coup bien placé suffit à les éliminer, ce qui rythme les combats de manière rapide et brutale.
La mécanique de Kumori permet également d’interagir avec l’environnement d’une manière unique. Elle peut entrer furtivement dans un monde immatériel pour aider Kenji à progresser. Dans cette dimension parallèle, elle peut ouvrir une porte bloquée ou faire apparaître des plates-formes et des ennemis autrement invisibles. Toutefois, cette mécanique reste relativement simple dans son exécution. Contrairement à des jeux comme Soul Reaver où le passage entre deux mondes modifie drastiquement la topographie des lieux, son utilisation dans Ragebound se révèle plus fonctionnelle que transformative, se limitant à des séquences de résolution d’énigmes légères.
Malgré une variété d’environnements allant des forêts luxuriantes aux mégalopoles en ruines, en passant par des souterrains et des laboratoires secrets, le jeu souffre d’un certain sentiment de répétition. Le level design, bien qu’efficace, peine à se renouveler sur la durée de l’aventure, qui s’étend sur environ sept heures en ligne droite.
Personnalisation et Progression
L’un des aspects les moins développés de Ragebound réside dans son système de personnalisation. La progression s’effectue principalement en dépensant des scarabées d’or, des objets de collection cachés dans les niveaux, dans la boutique de Muramasa. Ces scarabées permettent d’acheter de nouvelles armes secondaires pour Kumori, des magies (Jutsu) et des talismans offrant des bonus passifs.
Cependant, les options restent limitées. Le joueur aurait bénéficié d’un plus grand arsenal d’armes, de davantage d’emplacements d’équipement pour les talismans, et d’un meilleur équilibrage des magies, dont certaines se révèlent peu utiles en pratique. Ce manque personnalisation empêche une véritable expérimentation de différents styles de jeu et contribue à l’impression de répétitivité qui peut s’installer au fil des heures. L’exploration est davantage récompensée que la performance au combat pour l’acquisition d’améliorations, bien que l’obtention de bons rangs en fin de niveau débloque certains objets à l’achat.
Une Difficulté Accessible et Modulable
La saga Ninja Gaiden est historiquement synonyme de difficulté extrême, un défi ardu voire frustrant qui a fait sa réputation. Ninja Gaiden: Ragebound prend une direction différente en se montrant très accessible. Sans pour autant être un jeu facile, notamment grâce à des combats de boss intenses et bien conçus, il fait de nombreux pas vers le joueur pour lui faciliter la tâche.
La mort est peu punitive : en cas d’échec, le ninja réapparaît au dernier point de sauvegarde activé, avec tout son équipement et ses ressources intacts. De plus, de nombreuses options permettent de regagner de la vie.
Néanmoins, The Game Kitchen n’a pas oublié les vétérans et les amateurs de défis corsés. Le studio a intégré plusieurs systèmes pour ceux qui souhaitent retrouver la tension des anciens opus. Des talismans maudits peuvent être équipés, appliquant de terribles malus en échange d’un gain de score.
Des niveaux bonus appelés opérations secrètes proposent des défis particulièrement ardus. Enfin, chaque niveau contient trois objectifs annexes à accomplir, ajoutant une couche de difficulté supplémentaire pour les complétionnistes. Le jeu s’adresse aussi bien aux néophytes qu’aux puristes de l’action punitive, une décision judicieuse qui rend l’expérience agréable pour tous les types de joueurs.
Verdict : Ça tranche pour tout le monde
Ragebound, développé par The Game Kitchen, est un titre inspiré de la franchise Ninja Gaiden qui mérite l’attention des joueurs. Le jeu propose une expérience accessible à différents niveaux de compétence, des débutants aux experts. Son gameplay combine technicité et divertissement, offrant une expérience arcade de qualité devenue rare dans le paysage vidéoludique actuel. Le personnage de Kenji s’impose comme un digne successeur de Ryu Hayabusa.
Malgré ses nombreuses qualités, le titre présente quelques limites dans la conception de ses niveaux et l’exploitation de certains concepts. Ces aspects l’empêchent d’atteindre l’excellence absolue. Néanmoins, Ragebound reste une proposition solide qui satisfera les amateurs du genre grâce à ses mécaniques bien pensées et son équilibre entre défi et accessibilité.