Forgotten Fragments

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Graphisme8.3
Animation8
Gameplay8
Bande-Son7.5
Intérêt8
8

Quand on me demande ce que je cherche dans un puzzle-plateforme, je réponds souvent : un peu de magie, beaucoup d’ingéniosité… et surtout ce supplément d’âme qui donne envie de rester, même quand on frôle la crise de nerfs. Forgotten Fragments, premier jeu du jeune studio espagnol Binary Phoenix édité par Assemble Entertainment, souffle sur ces braises en proposant un voyage entre oubli, reconstruction et souffle pixelisé. Sorti le 24 septembre 2025, ce titre nous promet non seulement une odyssée cérébrale, mais aussi une aventure coopérative sur fond de narration évanescente. Est-ce que l’enchantement prend, ou retrouve-t-on des morceaux cassés dans le fond du bac à puzzles ?

Contes à fragments 

Au cœur de Forgotten Fragments, il y a cette idée : recoller les morceaux d’une mémoire dispersée dans un monde à mille facettes. On y incarne Enid, la jeune héroïne égarée, entourée de compagnons aussi paumés qu’elle, Ryder et Dayen. Un pitch qui rappelle Celeste ou Spiritfarer, où le voyage intérieur importe au moins autant que le gameplay. Le contexte narratif reste pourtant minimaliste, brossé en quelques touches : on avance, on collecte des fragments, chaque réussite étant une pièce du puzzle de soi. Certes, on aurait aimé des personnages plus bavards ou des dialogues qui mordent plus fort. Mais la DA fait le job et le jeu préfère parler par ses environnements et sa mécanique que par ses mots.

Impossible de ne pas ressentir une atmosphère nostalgique devant ces décors rétro en pixel art, sublimés par des jeux de lumière travaillés, des torches vacillantes et de minuscules détails animés qui font vivre chaque écran. On plonge rapidement dans un univers feutré, où la solitude de l’héroïne se matérialise dans des salles vides mais pleines de secrets à révéler. Certains regretteront peut-être le manque d’expressivité ou d’ancrage du scénario, mais difficile de nier la cohérence artistique de l’ensemble.

De la pièce perdue à la pièce “rage quit”

Forgotten Fragments n’a pas froid aux yeux. On est immédiatement mis à l’épreuve : chaque salle est un puzzle à résoudre, chaque fragment récupéré l’aboutissement d’une série d’essais, d’erreurs… parfois de jurons……beaucoup de jurons, ne jouer pas avec des enfants à proximité par sécurité auditive de leur futur vocabulaire.

On cite souvent Celeste et Unravel Two en références, à raison. Mais alors que Celeste joue sur la nervosité pure du saut millimétré, Forgotten Fragments ajoute la gestion d’objets : déplacer, empiler, lancer des caisses ou des orbes dans un timing serré, c’est la signature maison de ce jeu.

Si attraper une sphère semble simple, il faut la lancer avant que le chrono ne s’écoule pour ouvrir une porte ou activer un mécanisme. Le problème, porter une caisse réduit votre agilité, forçant des choix réguliers entre vitesse et planification. À la moindre erreur (pic, eau, timer), retour à la case départ. C’est frustrant, parfois aride, mais le plaisir de la réussite à l’ancienne n’en est que plus savoureux pour les amateurs de challenge pur et dur. Je vous ai déjà parlé de mon côté maso pour les jeux de ce genre ?)

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Un plaisir partagé, avec ou sans engueulades

La vraie originalité, c’est la double campagne : solo pour l’aventure introspective, et coop locale (ou en ligne selon la version) pour le plaisir partagé. Les puzzles ne sont pas de simples copier-coller : chaque niveau coop revoit ses mécaniques et mise sur la synchronisation, le timing et la communication. Quand tout s’emboîte, c’est incroyablement satisfaisant. Quand ça bloque… préparez-vous à quelques débats houleux sur la stratégie à adopter. Un vrai plus pour qui aime les expériences à deux, très au-dessus de la moyenne du genre, si vous jouez avec votre moitié…ayez un bon avocat juste au cas où.

Notons aussi un mode assisté très inspiré des options d’accessibilité démocratisées notamment par Celeste : désactivation du chrono, ajustement de la trajectoire et réduction (voire suppression) des dangers, rendant le titre abordable même aux moins téméraires.

Un excellent choix pour ouvrir le jeu à un public large sans rien sacrifier du défi pour les puristes et préserver les nerfs.

taille du gâteau et cerises cachées

Le jeu aurait entre 120 et 1000 niveaux, ce qui trahit sans doute la multiplication des variantes, salles cachées et défis annexes. Quoi qu’il en soit, Forgotten Fragments propose une impressionnante densité de contenu pour son prix : quatre mondes par campagne, boss à la clé et nombre impressionnant de collectibles (skins, niveaux secrets, chronos à battre). Les speedrunners y trouveront leur compte et les acharnés auront de quoi faire.

Niveaux secrets, collectibles, améliorations esthétiques et timers à éclater : on ne manque pas de raisons d’y revenir, d’autant que la courbe de difficulté tient globalement la route. Attention cependant, la profusion de puzzles amène inévitablement son lot de répétition ; tous les tableaux ne se valent pas, certains manquent d’inspiration ou abusent d’anciennes mécaniques. Mais l’ensemble offre un rythme accrocheur, idéal pour les sessions courtes ou pour un marathon coop improvisé un samedi soir.

Le pixel qui brille et qui grippe

Forgotten Fragments impressionne par la finesse de son pixel art et la fluidité de ses animations. Chaque monde a sa propre palette, ses détails : torches animées, ruines moussues, petits feux follets qui éclairent notre progression. L’artisanat se sent, jusque dans le soin porté à chaque écran. C’est parfois plaque sur plaque old-school, mais ça sent le fait main et non la template générique piquée sur Unity Asset Store (à force on reconnaît certaines choses). On pense beaucoup à Unravel Two pour l’ambiance, à Trine pour la lumière, et à Celeste pour la lisibilité immédiate.

Sur le plan technique, le jeu tourne sans accroc sur une configuration même modeste, sur ma Legion Go aucun souci de fonctionnement. Quand un échec se produit, la rapidité du restart évite de casser le rythme, même après vingt resets en trois minutes.

Quelques imprécisions dans la hitbox ou un saut de trop sur une caisse mal placée peuvent parfois agacer, mais rien d’insurmontable.

L’accord parfait ?

Le jeu ne réinvente pas la poudre mais soigne ses sonorités. Les mélodies sont douces, un peu mélancoliques, parfaites pour accompagner la difficulté sans jamais l’accentuer. On apprécie les effets dynamiques comme les lancers d’orbes, échos dans les cavernes, bruissements d’eau, qui ajoutent un supplément de présence à l’ensemble. Si l’on compare à un Ori and the Blind Forest, c’est moins orchestral et épique : ça tient plus de la balade feutrée que du grand concert. Mais dans le contexte, ça marche. On aurait aimé une ou deux compositions plus marquantes histoire de chipoter, mais la bande-son reste discrète, jamais lassante.

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Où se place Forgotten Fragments ?

Impossible de ne pas penser à Celeste pour la difficulté, l’accessibilité, le feeling général des déplacements. Mais Forgotten Fragments joue aussi à la manière d’Unravel Two pour la co-op, le côté “on avance ensemble ou on bloque ensemble” et de Trine pour ses combinaisons de pouvoirs, logique de level design. Pourtant, il garde sa propre identité, notamment grâce à la gestion très spécifique des objets à lancer/porter et de ses timers.

On peut aussi évoquer l’influence très claire de jeux comme Super Meat Boy ou Spelunky dans cette façon de construire le défi autour de la répétition et du restart instantané. Pour ceux qui comme moi aiment souffrir joyeusement sur une formule “essais/erreurs jusqu’à la réussite fulgurante”, le titre coche toutes les cases.

Forgotten Fragments est punitif, c’est un fait. Sa courbe d’apprentissage est raide, et certains niveaux exigent un sang-froid qui mettra à l’épreuve même les joueurs chevronnés. Cela pourra rebuter, la sensation de répétition, surtout dans certains puzzles moins inspirés, le manque d’ambition scénaristique, ou le manque de variété dans les environnements peuvent créer une lassitude chez certains.

La coop exige vraiment de jouer sur le même rythme ; deux joueurs avec des styles différents peuvent exploser la manette… ou leur amitié. La narration, enfin, reste trop en retrait pour convaincre ceux qui aiment les univers plus incarnés. C’est un jeu d’ambiance, pas d’attachement.

Une mémoire recomposée, un plaisir fragmenté

Forgotten Fragments est le prototype du puzzle-platformer exigeant, intelligent et farouchement honnête dans ce qu’il propose. C’est aussi une proposition généreuse : on en a pour des dizaines d’heures, seul ou à deux, avec un mélange de frustration et de fierté à chaque niveau arraché de haute lutte. Pour qui aime la pureté du challenge, la beauté brute du pixel art, la coopération tendue ou la course au perfect run, c’est une proposition solide. Mais on n’est pas face à un nouveau monument du genre : narration superficielle, quelques plateformes vues et revues, niveaux inégaux.

On en ressort avec la sensation d’avoir réparé, pièce après pièce, un joli casse-tête aux allures simples mais parfois implacable. On ne le recommande pas à tout le monde : il faut aimer perdre pour mieux gagner, composer avec la répétition et savourer chaque petite victoire. Si vous cherchez un jeu parfait pour tester votre patience et muscler vos neurones, Forgotten Fragments vous tend la main. Les autres peuvent passer leur tour… ou revenir dans quelques fragments de temps.

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