Bye Sweet Carole

Bye Sweet Carole est une œuvre à part. Dès les premières minutes, ce qui saute aux yeux, c’est sa direction artistique exceptionnelle. On est face à un véritable dessin animé interactif, avec un style visuel qui évoque clairement les grands classiques de Disney ou Don Bluth. Chaque personnage, chaque décor semble peint à la main avec un soin maniaque du détail, et l’animation donne une impression de vie rarement vue dans un jeu vidéo. Tout bouge avec une fluidité et une précision rares, les expressions faciales sont saisissantes, les jeux d’ombres et de lumière racontent autant que les dialogues. Visuellement, c’est un spectacle permanent, et on se surprend souvent à ralentir notre progression juste pour admirer ce qui se passe à l’écran. Le jeu est aussi contemplatif qu’il est ludique.
Mais Bye Sweet Carole ne se contente pas d’être beau. C’est un vrai jeu vidéo, avec un gameplay solide et varié. On évolue dans un environnement en 2D, avec des déplacements latéraux, dans un style de plateforme assez classique sur la forme, mais très riche dans l’exécution. À cela s’ajoutent des énigmes intégrées intelligemment dans le décor et la narration. Ce ne sont pas des puzzles absurdes comme dans Monkey Island, mais des casse-têtes logiques, exigeants parfois, qui demandent d’observer, d’interpréter, et surtout de comprendre la logique des développeurs. On est plus proche de l’approche des Chevaliers de Baphomet : il faut penser comme le jeu, avec subtilité et observation, sans tomber dans le piège du pixel hunting ou du délire surréaliste.
Les QTE sont bien là, mais contrairement à ce qu’on pourrait craindre, ils ne posent aucun problème. Ils sont rares, bien rythmés, et parfaitement intégrés à l’action. Ils ne brisent jamais l’immersion, et ne donnent jamais l’impression d’un gameplay « automatique » ou frustrant. Ce ne sont pas des obstacles, mais des outils narratifs pour maintenir la tension ou appuyer certains moments clés. Ils servent la mise en scène, pas l’inverse.
Un autre point fort du gameplay, c’est la possibilité de se transformer en lapin. Ce n’est pas un simple gadget. Ce changement de forme ouvre la voie à une exploration différente, plus fine, avec l’accès à des passages étroits, des fuites plus rapides, ou des zones autrement inaccessibles. Mais attention : sous forme de lapin, on est plus vulnérable, plus fragile. Il y a donc une vraie réflexion à avoir sur quand utiliser cette capacité. Ce choix tactique s’intègre parfaitement dans le rythme du jeu et dans la construction des niveaux.
Le jeu ne se limite pas à une suite de tableaux animés. Il propose une vraie progression narrative, structurée en chapitres, avec des environnements variés et une mise en scène soignée. L’univers est dense, emprunt d’un ton sombre, presque dérangeant, qui contraste volontairement avec la douceur visuelle du style cartoon. On passe de l’orphelinat anglais de Bunny Hall à des zones fantastiques dans un royaume nommé Corolla, peuplé de créatures cauchemardesques et de personnages étranges, le tout baignant dans une ambiance de conte gothique. Le scénario prend place dans l’Angleterre du début du XXᵉ siècle, dans un contexte historique où les droits des femmes commencent à émerger, ce qui apporte une profondeur inattendue à la trame.
Lana Benton, l’héroïne, se lance dans une enquête troublante sur la disparition de son amie Carole. Cette quête personnelle va l’amener à découvrir un monde parallèle, peuplé de dangers et de symboliques, où chaque énigme, chaque personnage, chaque élément de décor raconte quelque chose. Il y a un vrai travail de narration environnementale, et les dialogues sont sobres mais efficaces. Certaines scènes sont même marquantes émotionnellement, renforcées par la qualité de l’animation et du doublage.
La bande-son accompagne le tout avec justesse. Discrète quand il le faut, plus présente dans les moments clés, elle participe pleinement à l’atmosphère du jeu. Les bruitages sont eux aussi très soignés, avec une attention particulière portée aux sons ambiants qui viennent renforcer la sensation d’être dans un monde vivant – ou hanté, selon les moments.
En termes de contenu, on peut tabler sur une aventure d’environ 8 à 10 heures selon la façon dont on joue. Le jeu ne prend jamais le joueur pour un imbécile : il ne le guide pas excessivement, ne l’inonde pas de tutoriels, mais lui laisse le soin de comprendre, d’apprendre, de progresser. C’est exigeant par moments, mais gratifiant.
Il ne faut pas s’attendre à un gameplay ultra nerveux ou à une montée en puissance spectaculaire. Ce n’est pas le propos. Bye Sweet Carole mise avant tout sur l’ambiance, la narration, la finesse de l’exploration et la beauté de l’ensemble. C’est une œuvre qui se savoure, qui prend son temps, et qui assume sa singularité. Elle ne conviendra pas à ceux qui veulent de l’action en continu, mais elle ravira les amateurs de jeux narratifs, de plateformes réfléchies et d’univers visuels forts. Pour ma part, je trouve même que c’est le point faible du jeu. Le gameplay manque d’exactitude et crée des situations qui peuvent parfois être énervante. Le jeu est scripté à souhait et on se retrouve souvent à cafouiller. Je pense que les développeurs sont au courant de cette situation car il est aussi vrai qu’en cas de mort, la sanction n’est pas pénible car on reprend le jeu à peu près là où on l’a laissé, de quoi pardonner ce jeu qui trébuche un peu trop souvent.
Au final, Bye Sweet Carole est un petit bijou d’animation et de narration, un jeu qui assume pleinement son ambition artistique et qui propose une expérience unique sur consoles. C’est un hommage réussi aux classiques animés, mais c’est aussi, et surtout, un vrai jeu vidéo, avec une âme, une vision et une profondeur qui forcent le respect. L’exécution aurait mérité un peu plus de polish mais j’imagine que des mises-à-jour pourraient encore sans doute améliorer ce gameplay un peu trop flottant.