Dreams Of Another

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Graphismes7
Animation7.4
Jouabilité6.2
Bande son8.3
Intérêt7.3
7.2

    Il y a des jeux qui se jouent, et d’autres qui se contemplent. Dreams of Another, sur PS5, appartient sans équivoque à cette seconde catégorie. C’est une œuvre étrange, poétique, déstabilisante, plus proche d’une expérience sensorielle que d’un jeu vidéo traditionnel. Dès les premières minutes, on comprend que rien ici ne suivra les codes habituels du gameplay. Armé d’une  Kalachnikov ou une arme du genre (je ne suis pas un spécialiste) le joueur ne tire pas pour détruire, mais pour construire. Chaque détonation fait éclore dans l’espace de petites bulles lumineuses qui s’agglomèrent, se transforment et finissent par donner naissance à des pans entiers de décor. Là où un autre titre vous demanderait de faire feu sur vos ennemis, Dreams of Another vous propose de tirer sur le vide pour y faire surgir des mondes.

L’idée, à elle seule, mérite le détour. Voir un paysage se matérialiser sous ses yeux à coups de rafales est une sensation nouvelle et fascinante. Au lieu de la destruction, on nous offre la création ; au lieu du chaos, la construction d’un rêve. Mais ce rêve a quelque chose d’inquiétant. Les textures sont mouvantes, grossières, presque liquides. Les environnements semblent se désagréger dès qu’on détourne le regard. On se promène dans des villages qui flottent dans le vide, des ruelles qui se tordent, des visages à moitié fondus. Tout semble appartenir à un monde à la fois familier et impossible, comme si quelqu’un avait tenté de reconstituer la réalité après un long sommeil agité.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la dimension profondément expérimentale du projet. Développé par Q-Games, à qui l’on doit la série PixelJunk, le jeu est dirigé par Tomohisa « Baiyon » Kuramitsu, un artiste visuel et sonore connu pour ses expérimentations. On y sent une envie de casser les codes, d’imposer un rythme lent et contemplatif, presque méditatif. Le gameplay ne repose sur aucune notion de skill ou de performance. Il n’y a ni score, ni chronomètre, ni véritable objectif. On tire dans le vide, on découvre les décors qui se révèlent, on échange quelques mots avec des personnages étranges, et on avance sans trop savoir pourquoi. Les dialogues semblent souvent sortir d’un rêve ou d’une séance d’hypnose : absurdes, cryptiques, parfois poétiques. Ils ne cherchent pas à donner du sens à ce qui nous entoure, mais à entretenir le mystère.

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La direction artistique accentue ce sentiment d’irréalité. Les décors sont faits de particules, de nuages de bubules mouvants qui se rassemblent sous l’effet de nos tirs. Le rendu évoque à la fois la sculpture numérique et le collage surréaliste. Les frontières entre les objets, les murs et les personnages sont floues ; les couleurs se mélangent comme dans une aquarelle qui n’aurait pas encore séché. Par moments, on croirait voir un monde qui hésite entre se créer et se dissoudre. L’impression de flotter dans un rêve est totale. Et si l’on se laisse aller, il y a quelque chose de captivant dans ce chaos organisé : un sentiment de liberté, de découverte, presque d’émerveillement enfantin.

Mais très vite, les limites du concept apparaissent. L’absence d’objectifs clairs, la répétitivité du tir constructif et la lenteur générale de la progression finissent par lasser. Ce qui émerveille la première heure devient ensuite un rituel mécanique : tirer, révéler, observer, avancer. Les environnements changent ( un parc d’attraction, un aquarium, un atelier, une ville en ruine) mais la logique reste la même. Certains objets à collecter permettent d’améliorer légèrement notre “arme” ou de débloquer de nouvelles capacités, mais rien qui transforme fondamentalement la boucle de jeu. Il ne s’agit pas de progresser, mais d’expérimenter. Et cela, tout le monde n’y trouvera pas son compte.

Le scénario, s’il en existe un, se présente sous forme de fragments. On passe d’un rêve à l’autre sans toujours comprendre le lien entre eux. Parfois, on est brutalement renvoyé au menu principal, comme si l’on se réveillait avant de retomber dans un autre songe. Ces transitions déconcertantes font partie intégrante de l’expérience : le jeu parle de mémoire, de conscience, de perte, mais sans jamais livrer de clés de lecture définitives. On est invité à interpréter, à ressentir, à accepter le flou. Cela séduira les amateurs d’art abstrait ou de philosophie contemplative, mais risque d’exaspérer ceux qui attendent une narration construite.

Techniquement, Dreams of Another se situe entre la prouesse et la maladresse. Le moteur de particules, bien qu’impressionnant, met parfois la console à genoux. Quelques ralentissements surviennent lorsque trop de formes s’animent simultanément à l’écran. L’expérience en réalité virtuelle (PS VR2) ajoute une dimension immersive, mais pas toujours confortable : les angles de caméra sont imposés, les transitions entre VR et écran plat manquent de fluidité, et certaines séquences provoquent un léger inconfort visuel. La direction artistique, en revanche, reste cohérente dans sa bizarrerie. On croirait par moments que le jeu a été réalisé avec le logiciel Dreams de Media Molecule tant il semble bricolé, vivant, artisanal, presque naïf — mais c’est justement ce qui fait son charme.

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Sur le plan sonore, l’expérience est bien plus aboutie. La bande-son, composée d’ambiances minimalistes et de nappes électroniques, soutient parfaitement la dimension onirique du jeu. Chaque zone a son identité acoustique : certaines rappellent des battements de cœur étouffés, d’autres des bruits de respiration sous l’eau. C’est un travail sonore d’une grande finesse, parfois plus marquant que ce que l’on voit à l’écran.

En fin de compte, Dreams of Another est un OVNI vidéoludique. Ce n’est ni un shooter, ni un jeu d’aventure, ni même un véritable puzzle-game. C’est un rêve interactif, une promenade sensorielle dans un monde en construction perpétuelle. Il ne plaira pas à tout le monde, et c’est peut-être sa plus grande force. Il ose. Il propose quelque chose de radicalement différent dans une industrie saturée de clones et de mécaniques recyclées. On peut lui reprocher sa lenteur, son manque de direction, son côté “projet étudiant” qui semble d’ailleurs réalisé via le jeu Dreams de Media Molecule, mais on ne peut pas nier sa personnalité.

C’est une œuvre fragile, imparfaite, mais sincère. Une sorte de méditation interactive sur la création, la mémoire et la perception. Si vous aimez les expériences expérimentales, si vous savez apprécier le geste artistique avant le gameplay, vous y trouverez sans doute une forme de beauté. Si, en revanche, vous cherchez un jeu au sens traditionnel du terme, avec une progression, des défis et une fin, vous risquez de refermer ce rêve aussi vite que vous l’avez ouvert.

Sur Consoles-Fan, on aime saluer l’audace, même quand elle s’égare. Dreams of Another fascine autant qu’il dérange, émerveille autant qu’il ennuie. Une expérience à vivre une fois, pour le simple plaisir de voir ce que devient le monde quand on tire sur le vide pour lui donner forme.

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