A Better World

Vous avez déjà rêvé d’avoir le pouvoir de changer l’histoire tel un agent de TVA (pour ceux qui ont regardé la série Loki) ? De sauver JFK, d’envoyer Gandhi sur Mars, ou de transformer l’humanité en peuple végétarien adorateur du dieu-saucisse ? Eh bien, le studio lillois Ludogram et ARTE France nous offrent cette possibilité dans A Better World, leur nouveau jeu narratif qui transforme le voyage temporel en cauchemar bureaucratique. Et franchement, je n’avais pas vu une satire aussi excellente de la culture d’entreprise depuis l’excellent The Stanley Parable.
Une société pas si philanthrope que ça
Développé par Ludogram, studio déjà connu pour ses créations narratives comme Firebird et Worlds of Aria, A Better World nous plonge dans la peau d’une nouvelle recrue de l’énigmatique A Better World Company. Cette boîte a mis la main sur l’Ordinateur, la machine à voyager dans le temps la plus puissante jamais créée. Notre mission ? Modifier le passé pour créer un monde meilleur. Enfin, meilleur selon les critères très discutables de nos supérieurs hiérarchiques.
Le jeu nous livre une expérience qui interroge autant qu’elle fait rire. Le directeur créatif Édouard Gaudel et son équipe ont imaginé un concept à la fois simple et brillant, et si le pouvoir de changer le monde était confié à un employé lambda coincé dans un bureau aseptisé, avec une IA débordante d’optimisme malgré les catastrophes qu’on déclenche ?
L’originalité du jeu repose sur ce contraste permanent entre l’ampleur cosmique de nos décisions et la banalité corporate qui les entoure. On ne sauve pas le monde en héros, on remplit des objectifs trimestriels évalués par les ressources humaines. Cette vision satirique transforme chaque mission en absurdité bureaucratique, où l’extinction de l’humanité devient juste une ligne rouge à éviter sur son rapport de performance.

Voyager dans le temps sans quitter son bureau
A Better World mise tout sur son concept narratif minimaliste. Contrairement aux jeux d’action-aventure classiques, on ne court pas à travers les époques, on les observe depuis notre poste de travail rétro-futuriste. Le gameplay se résume à faire des choix en consultant des documents, en analysant des données historiques et en appuyant sur des boutons qui déterminent le futur de l’humanité. Ça paraît simple comme ça, mais c’est là toute la force du jeu.
Chaque mission nous propulse à différentes périodes de l’histoire, du Jurassique à la conquête spatiale en passant par la Grèce Antique et la Renaissance. L’Ordinateur nous permet de modifier des moments clés comme empêcher l’assassinat de JFK, donner l’arme nucléaire à Gandhi (oui, vraiment), choisir Mars plutôt que la Lune pour la conquête spatiale, ou encore faire de la cuisine sénégalaise le plat dominant mondial. Les possibilités semblent infinies, et c’est justement ce qui rend le jeu si addictif, et je ne pèse pas mes mots, ce jeu est vraiment surprenant.
La structure du jeu suit un schéma qui rappelle les meilleurs jeux narratifs à embranchements multiples. On reçoit un briefing absurde de nos supérieurs, on consulte les données historiques, on fait nos choix, puis on observe les conséquences. Parfois c’est glorieux, parfois on déclenche accidentellement l’apocalypse lors de notre première semaine de travail. Dans ce cas, pas de panique : on peut tout recommencer grâce au bouton d’urgence qui reboot le flux temporel. C’est pratique quand on vient de transformer la Terre en caillou radioactif et je ne vois pas où est le souci.

Ce qui distingue A Better World des autres jeux à choix multiples, c’est son système de conséquences intelligemment conçu. Chaque décision crée une réalité parallèle avec ses propres surprises. Un petit détail ou une personne lambda peut tout changer, nous forçant à réfléchir à plusieurs échelles. Parfois on doit prendre des décisions à l’échelle globale, parfois on modifie le destin d’un seul individu. Cette variété maintient l’intérêt tout au long de l’aventure.
Le jeu encourage la rejouabilité en nous permettant de recommencer les missions pour optimiser nos choix et notre carrière au sein de l’entreprise. On grimpe les échelons en fonction de nos évaluations par les ressources humaines, débloquant progressivement l’accès aux étages supérieurs et aux secrets les plus profonds de l’entreprise, dont le mystérieux septième étage.
Le jeu est entièrement jouable avec un lecteur d’écran, activé par défaut au premier lancement. C’est suffisamment rare dans l’industrie pour être mentionné, et ça témoigne d’une volonté d’inclure le plus de joueurs possibles dans cette expérience narrative et bien sûr intégralement traduit en français.
Avec environ 4 à 5 heures pour une première run complète, certains pourraient trouver l’expérience trop brève, surtout comparée à d’autres titres narratifs plus généreux en contenu. Mais la rejouabilité permet de découvrir différentes fins et conséquences. Le jeu assume pleinement son statut d’expérience narrative contemplative où l’interaction se limite à faire des choix et observer leurs conséquences.

Globos, l’IA la plus flippante et attachante à la fois
Impossible de parler de ce jeu sans évoquer Globos, notre assistante virtuelle qui nous accompagne tout au long de l’aventure. Programmée pour « soutenir la productivité et le moral », Globos incarne parfaitement le ton du jeu : serviable, sarcastique et d’un optimisme déconcertant face aux risques d’extinction de l’humanité.
Globos commente nos actions, nous guide dans nos missions, et balance des blagues avec un timing impeccable. Sa voix a été générée via l’IA ElevenLabs sous la supervision des développeurs, ce qui ajoute une couche d’ironie supplémentaire au personnage. Une IA qui joue une IA dans un jeu sur le contrôle du temps, j’y vois là un joli clin d’œil vu le contexte autour de l’IA en ce moment.

Ce qui rend Globos attachante, c’est sa capacité à rester enjouée même quand tout part en vrille. On vient de provoquer une catastrophe nucléaire ? Pas de souci, Globos nous rappelle gentiment qu’on peut recommencer et que l’échec ne fait techniquement pas partie de la politique de l’entreprise.
Chaque mission terminée reçoit une note qui détermine notre progression hiérarchique. On se retrouve à optimiser nos choix non pas pour le bien de l’humanité, mais pour plaire à un service RH invisible qui applique des critères aussi opaques qu’arbitraires. Doit-on faire ce qui est juste ou ce qui nous fera bien voir par nos supérieurs ?

Une DA quali
A Better World adopte un style rétro-futuriste inspiré des années 70 et de la science-fiction vintage. Chaque élément visuel contribue à construire cette ambiance de dystopie d’entreprise où le design industriel prime sur l’humanité. Les interfaces sont claires, colorées et volontairement bureaucratiques, rappelant constamment qu’on n’est qu’un rouage dans une machine bien huilée, comme ce fut le cas avec The Stanley Parable qui assumait ce choix artistique.
Les effets visuels se concentrent sur l’essentiel, faire comprendre les conséquences de nos choix à travers des représentations graphiques, des statistiques et des rapports. Pas de cinématiques, juste l’information brute présentée de manière claire.
La bande-son, dirigée par Franck Weber, accompagne parfaitement l’atmosphère du jeu. Les compositions créent une tension constante entre l’optimisme corporate forcé et l’anxiété sous-jacente de nos décisions. La musique reste en retrait, presque fonctionnelle, et c’est exactement ce qu’il faut.
Techniquement, le jeu tourne sans accroc. Le jeu est accessible à tous types de configurations et en plus a un prix plus qu’accessible de 11.99€ sur Steam.

Quand l’apocalypse devient un accident banal
A Better World est une petite perle narrative qui mérite amplement le détour, c’est une aventure intelligente, drôle et originale qui propose une réflexion pertinente sur le pouvoir, la responsabilité et l’absurdité de la culture d’entreprise moderne.
Le jeu brille par son concept, son humour et sa capacité à créer une expérience avec des moyens limités. Globos restera dans les mémoires comme l’une des IA les plus attachantes et flippantes du jeu vidéo. Ce jeu sait ce qu’il veut être et l’assume totalement, une expérience narrative concentrée qui préfère la qualité de son écriture à la quantité de contenu.
On ressort de cette aventure avec le sourire, quelques questions existentielles sur notre propre rapport au travail, et l’envie pressante de rejouer pour découvrir toutes les catastrophes qu’on aurait pu déclencher. Et franchement, pour un jeu à moins de 12 euros qui nous permet de détruire le monde tout en remplissant nos objectifs trimestriels avec une assistante du tonnerre, on peut difficilement demander mieux (ou une prime de risque).




